Interview // Soul Square


Soul Square (ex-Drum Brothers) – Live & Uncut (KIF Records)


Ca fait bien longtemps que je suis les aventures de Soul Square. D’un point de vue personnel d’abord (l’intéressé se reconnaitra !), puis d’un point de vue musical bien entendu. L’histoire avait plus ou moins commencé en 2005 avec une compilation gratuite, « Fresh Touch », composée de remixs distillés par les trois instigateurs du groupe, Arshitect, Guan Jay et PermOne. Initialement connus sous le nom des Drum Brothers, ils ont du changer suite à des problèmes avec une formation américaine qui portait le même nom. Désormais, ce sera donc Soul Square.

Les années défilent et 2 maxis vinyle voient le jour pour le bonheur des DJs (un troisième est prévu dans peu de temps). Enfin, c’est donc en décembre que sortira le premier album officiel de Soul Square : 16 pistes « Live & Uncut ». Depuis, il faut tout de même préciser que DJ Atom (C2C, Beat Torrent) a rejoint le groupe en tant que membre à part entière. Un feeling bien passé, un arrangeur de talent, un DJ de génie… Atom accepte d’intégrer le groupe de manière permanente. Les aventures humaines, ça paye.

D’ailleurs, on le retrouve directement avec son compère Pfel (Beat Torrent) sur le morceau d’introduction de l’album. Le ton est donné. Les platines sont sorties, les samples sont lâchés, le rythme se déchaine pour laisser place à un album dont la tonalité, l’énergie, l’engouement perdurent sur toute la longueur de l’album. C’est rare. Quant à moi, je me suis pété les cervicales sur la dizaine d’écoutes que j’ai déjà à mon actif. Quasiment toutes les pistes sont accompagnées par un rappeur, des chanteuses ou des musiciens divers. Un vrai bonheur d’éclectisme, une pluralité bénéfique sur un album d’une belle homogénéité.

C’est d’ailleurs un vrai plaisir de découvrir quelques rappeurs, comme l’américain Melodiq, Blezz, ou encore le canadien Justis. Tout trois sont d’ailleurs présents plusieurs fois sur l’album. Personnellement, je regrette un peu de ne pas avoir une exposition de MCs français. Mais tout cela s’explique (interview ci-dessous). Le projet avait de toute manière, depuis le début, une vocation internationale. De ce point de vue, c’est réussi.

Comme je le disais, l’album affiche une belle cohérence, de tout son long. Un peu trop peut-être : l’album est jazz-hip-hop-soul de bout en bout. Loin d’être dommageable, j’aurai parfois aimé que nos 4 bonhommes se laissent aller flirter avec d’autres styles peut-être un peu moins conventionnels. Je suis peut-être simplement curieux de voir ce que ça pourrait donner. Les rares pistes sans featurings ont quant à elles le mérite de dévoiler un potentiel musical assez énorme. Notamment l’excellentissime « That Swing », et ce sample de voix ‘anachronique’ (d’Elodie Rama, qui pose sur l’album), chaleureux. Reste que l’esprit qui colle à la peau de cet album est littéralement envoutant. On se laisse bercer, morceau par morceau, sans voir passer le temps. Pianos/claviers, guitares, samples, beat savamment ajustés, saxo, j’en passe et des meilleures.

Au final, on plonge dans cet album avec une étrange mélancolie, sourire figé au coin des lèvres, en remuant la tête de haut en bas. On retrouve une odeur de « boom bap » qui se fait trop rare, une bonne dose de gaieté finalement, sur des lyrics plutôt positifs. C’est peut-être Melodiq, justement, qui résume le mieux tout ça, en distillant sur « It is all in your mind » ses « This jazzy hip hop soul / Is making you lose control / Transcending space and time / With it’s fonky rhythms ».

Et pour compléter tout ça, une petite interview avec PermOne, qui m’éclaire sur quelques points.

Adikt : Au niveau des featurings, vous aviez bossé avec des français, comme Fisto et Micronologie par exemple. En revanche, on ne retrouve que des featurings en anglais sur l’album. Pourquoi ne pas avoir fait intervenir un rappeur français sur l'album ?

PermOne : Plusieurs raisons à ça. En ce qui concerne Fisto, il avait effectivement réalisé un (très bon) morceau pour notre maquette d'album. D'ailleurs, les relations sont toujours restées au beau fixe avec lui, puisqu'on lui a régulièrement fait tourner des sons, et qu'il nous a choisis pour produire l'intégralité de son album qui vient de sortir, « Futur Vintage ». A la base, c'est à dire en 2005 quand on s'est mis sur ce projet d'album, le tracklist qu'on avait prévu devait faire apparaître majoritairement des rappeurs français. Il y avait eu à l'époque un certain nombre de projets assez orientés "hip-hop jazzy" si on peut dire, avec pas mal de nouveaux noms qui émergeaient, d'autres sur le retour... Bref, en gros y'avait une certaine effervescence autour de cette scène, donc on s'est dit qu'on tombait au bon moment. Malheureusement (ou heureusement peut-être avec 5 ans de recul), au final nous n'avons eu que 3 retours positifs de la part des MCs français qu'on a contacté : Daz Ini, Fisto, et Micronologie (pour eux c'est particulier puisqu'il s'agit de potes pour qui je produis la majorité des sons). On avait de toute façon dès le départ choisi de faire un projet "international", en essayant de faire intervenir quelques MCs anglophones, au final on a été légèrement surpris de voir la différence de motivation entre les MCs "étrangers" et les français. Un mec comme Melodiq, à l'époque où on a créé l'album, était capable de pondre peut-être deux tracks dans la semaine, sans sourciller... Le mec a été très pro et dispo, en étant à Pittsburgh, et à côté de ça fallait coller au cul de mecs qui venaient de Paris, faire des relances tous les 4 matins pour au final ne rien avoir... Y'a eu aussi des raisons pécuniaires, sachant que le projet, on le montait par nous-mêmes et qu'on avait pas de budget pour payer les mecs, certains nous ont dit non tout de suite. Donc on est arrivés chez Kif Records en 2008 avec nos 3 titres en français (et tous les autres en anglais). Et là, compte-tenu de l'exposition internationale qui découlait de cette signature chez Kif, le label nous a convaincu de se séparer des morceaux en français, ce qu'on a fait avec regret, mais avec le recul c'était sans doute mieux, pour diverses raisons. En gros, le fait qu'il n'y ait pas de MCs français sur l'album n'est pas un choix délibéré, c'est plus lié aux circonstances, et ça ne nous empêche pas de collaborer avec des français sur leurs projets. On peut aussi ajouter que même s'il n'y a pas de rappeurs français sur l'album, on trouve quand même e nombreux artistes français sur l'album, musiciens, djs, chanteuses...

Adikt : Est ce que tu peux m'expliquer un peu comment le groupe fonctionne… Qui fait quoi en fait ?

PermOne : Ce qui est bien chez nous c'est que chacun a sa place et sa "fonction", de manière implicite, et quelque part personne n'interfère sur le travail de l'autre, et tout le monde est indispensable. Pour faire simple :
- Arshitect : beatmaker, il est aussi graphiste de formation, il a notamment réalisé le clip de Live & Uncut ainsi que les pochettes des maxis et de l'album à venir, et bien évidemment tout l'aspect graphique concernant tous le contenu en ligne, MySpace, Facebook, les bandeaux promo etc... C'est aussi lui qui s'occupe le plus de tout ce qui a trait à la vie "externe" du groupe, que ce soit les contacts avec le label, etc...
- Atom : connu en tant que dj au sein de Coup 2 Cross et Beat Torrent, il officie chez nous en tant qu'ingénieur du son, arrangeur, beatmaker parfois, dj (phases scratchées notamment)... bref, un homme à tout faire...
- Guan Jay : ancien de la scène Nantaise, c'est un beatmaker de talent qui bosse dans l'underground depuis (trop) longtemps et qui mérite d'avoir une exposition plus conséquente de son travail. Il a également un niveau plus qu'honnête au clavier, ce qui fait qu'il est souvent réquisitionné pour poser des petits solos de rhodes ou d'hammond sur les prods des autres...
- PermOne : beatmaker, plutôt prolifique et assez éclectique... pas facile de parler de soi !

Adikt : Est ce qu'il y a une tournée prévue ?

PermOne : Pas de tournée prévue pour le moment, nous n'en sommes qu'au début, à la phase de création du live. Pour des beatmakers tels que nous, habitués à taffer en home studio, le passage au live demande vraiment de créer quelque chose de nouveau. On n'est pas dj, on ne fera pas un show platine pour le live, du coup on ne veut pas arriver et passer nos morceaux depuis un ordinateur, ça aurait été se foutre de la gueule des gens. Ce qu'on a décidé, c'est de monter un set avec une vraie plus-value par rapport à ce que les gens peuvent entendre de nous chez eux, mais ça demande du temps, et pour l'instant on est toujours en train de fabriquer tout ça. On a eu divers contacts, des tourneurs, des gens qui souhaitaient notre présence pour un évènement qu'ils organisent. C'est assez dingue vu qu'on a pas encore fait une scène en tant que Soul Square ! Mais d'un autre côté c'est motivant, donc on continue à bosser d'arrache-pied sur ce projet, c'est en bonne voie, et on espère qu'au cours du premier semestre 2011, on sera en mesure de présenter un show digne de ce nom !

Adikt : L'album a quand même mis 5 ans à se mettre sur pied si je comprends, avec trois 12 pouces sortis entre temps ?

PermOne : 5 ans effectivement, c'est long... réfléchir à ce projet, trouver les invités, produire les sons, enregistrer les musiciens, faire le mix, le mastering, démarcher des labels... une fois le label trouvé, chaque sortie a pris du temps, et puisqu'il y a eu effectivement 3 maxis issus de l'album, ça a retardé sa sortie. Pour chaque maxi, on a essayé de faire au moins un inédit, du coup ça a pu remettre en cause le tracklist initial. En dehors de ça, on a eu quelques galères, notamment le changement de nom du groupe, qui a été imposé à la demande du groupe Drum Brothers, alors qu'on portait le même nom qu'eux à l'époque. Ca nous a fait perdre pas mal de temps mine de rien... On peut aussi voir le fait que tous, hormis Atom qui lui a de nombreuses activités avec Beat Torrent, C2C, et dans le cadre de son boulot d'ingé son, avons des activités professionnelles qui n'ont rien à voir avec le domaine musical, ce qui implique certaines contraintes en termes de disponibilités notamment. Mais bon, on préfère retenir le meilleur, l'album arrive, on aura pu faire 3 maxis vinyle, on bosse sur un live... c'est quand même positif de se dire qu'on aura pas mal avancé ces 5 dernières années !

Neska