Sameer Ahmad – Perdants Magnifiques


Deux albums. Des collaborations de temps à autre. Un EP. « Ne mourez jamais seul ». Des featurings, et pas des moindres (Dany Dan, Sako). Une écriture particulière, un flow pour les matraquer tous. Des visites, un petit tour du monde, de Big Ben à l’Hôtel Bilderberg. Ahmad est l’un de ces MC capable de t’emmener loin. C’est aussi un personnage atypique dans le paysage, par la nature de ses apparitions, de son flow, de ses textes. Et c’est avec un plaisir non boudé, et une longue attente, que sort enfin ce disque qui sonne comme une consécration à mes oreilles. Perdants Magnifiques, nous voici.


A trop y voir la référence littéraire de Leonard Cohen, on en oublierai presque que c’est également l’occasion de rendre hommage au musicien. Sa manière à lui, c’est probablement en invitant quelques pointures de l’ombre du milieu de la production. On ne parle plus de rap ici, chaque piste étant un ovni musical à elle toute seule. Je n’ai jamais caché mon goût immodéré pour les réalisations de Lartizan, qui signe ici en duo avec Ahmad lui-même une merveille sur "Nouveau Sinatra". Il en va de même pour Skeez’Up, Mr OGZ ou encore Meyso (et les autres).



Mais le cœur de cet album, c’est surtout ce qu’apporte Ahmad lui-même. Dans les textes tout d’abord. On pourrait consacrer des heures à disséquer chaque phrase. Rarement je me laisse aller à penser qu’un MC puisse passer autant de temps à peaufiner chaque sonorité, à choisir chaque mot avec tant de précision, à jongler entre tant de syllabes. On est loin de la punchline comme l’entend la majorité des rappeurs. Tout est plus savant ici, plus complexe en restant néanmoins abordable. Le sens de la formule est toujours exceptionnellement bien travaillé, aucune faute de goût, des dizaines de références. C’est ça aussi l’art de l’écriture : au-delà du message, faire passer ses goûts, sa nature, ses envies, ce que l’on aime. Et ça, le rappeur montpelliérain le fait mieux que 99% de ses confrères. Les références, on en trouve en pagaille. Comme les clips où se cachent des dizaines de petits indices, chaque morceau de ce disque enferme ses propres secrets, ses codes. Je sais de source sûre (merci Steve) que le MC est un grand amateur de cinéma, d’où ce raffinement pour le détail probablement. On pourrait parler de peinture en écoutant Perdants Magnifiques.


Là où Ahmad étonne, pour ceux qui connaissaient déjà la discographie, c’est aussi dans la forme. Certes, la manière de déballer les textes n’a pas réellement changé. Mais sur certains morceaux, Siwak notamment, la manière n’est pas la même : ça vient du fond de la gorge, c’est sautillant, presque chantant : du flip flap lyrical. Globalement, le MC n’est jamais dans la description du (de son) monde. On ne parle pas de galère ici, on évoque des choix de vie, des choses qui s’imposent à tous de manière naturelle (le bien/le mal/la liberté/les autres/etc.) comme sur « Barabbas ». Ahmad, c’est de l’ego trip à la troisième personne. La constante, c’est cette manière de jongler avec les mots, de placer tout et son contraire dans une phrase (« Au mieux je suis trop vieux, pour mourir jeune »), de décortiquer des expressions (« Je reste en vie jusqu’à ce que mort s’en suive ») et de se les réapproprier (« Issu d’un peuple qui a beaucoup de pétrole »). Lino boxait avec les mots, Ahmad s’amuse avec. Point.


Neska -Adikt Blog http://adiktblog.blogspot.com/