A
trop y voir la référence littéraire de Leonard Cohen, on en
oublierai presque que c’est également l’occasion de rendre
hommage au musicien. Sa manière à lui, c’est probablement en
invitant quelques pointures de l’ombre du milieu de la production.
On ne parle plus de rap ici, chaque piste étant un ovni musical à
elle toute seule. Je n’ai jamais caché mon goût immodéré pour
les réalisations de Lartizan, qui signe ici en duo avec Ahmad
lui-même une merveille sur "Nouveau Sinatra". Il en va de
même pour Skeez’Up, Mr OGZ ou encore Meyso (et les autres).
Mais
le cœur de cet album, c’est surtout ce qu’apporte Ahmad
lui-même. Dans les textes tout d’abord. On pourrait consacrer des
heures à
disséquer chaque phrase. Rarement je me laisse aller à penser
qu’un MC puisse passer autant de temps à peaufiner chaque
sonorité, à choisir chaque mot avec tant de précision, à jongler
entre tant de syllabes. On est loin de la punchline comme l’entend
la majorité des rappeurs. Tout est plus savant ici, plus complexe en
restant néanmoins abordable. Le sens de la formule est toujours
exceptionnellement bien travaillé, aucune faute de goût, des
dizaines de références. C’est ça aussi l’art de l’écriture
: au-delà du message, faire passer ses goûts, sa nature, ses
envies, ce que l’on aime. Et ça, le rappeur montpelliérain le
fait mieux que 99% de ses confrères. Les références, on en trouve
en pagaille. Comme les clips où se cachent des dizaines de petits
indices, chaque morceau de ce disque enferme ses propres secrets, ses
codes. Je sais de source sûre (merci Steve) que le MC est un grand
amateur de cinéma, d’où ce raffinement pour le détail
probablement. On pourrait parler de peinture en écoutant Perdants
Magnifiques.
Là
où Ahmad étonne, pour ceux qui connaissaient déjà la
discographie, c’est aussi dans la forme. Certes, la manière de
déballer les textes n’a pas réellement changé. Mais sur certains
morceaux, Siwak notamment, la manière n’est pas la même : ça
vient du fond de la gorge, c’est sautillant, presque chantant : du
flip flap lyrical. Globalement, le MC n’est jamais dans la
description du (de son) monde. On ne parle pas de galère ici, on
évoque des choix de vie, des choses qui s’imposent à tous de
manière naturelle (le bien/le mal/la liberté/les autres/etc.) comme
sur « Barabbas ». Ahmad, c’est de l’ego trip à la troisième
personne. La constante, c’est cette manière de jongler avec les
mots, de placer tout et son contraire dans une phrase (« Au
mieux je suis trop vieux, pour mourir jeune »),
de décortiquer des expressions (« Je
reste en vie jusqu’à ce que mort s’en suive »)
et de se les réapproprier (« Issu
d’un peuple qui a beaucoup de pétrole »).
Lino boxait avec les mots, Ahmad s’amuse avec. Point.
Neska
-Adikt Blog http://adiktblog.blogspot.com/