La Canaille – Par Temps de
Rage (La Canaille / L'autre distribution)
Genre : Hip-hop,
Rock
Presque deux ans. C’est le temps qu’il a fallu
pour que je sorte la tête de l’eau après le premier « Une goutte
de miel dans un litre de plomb », lourd de sens, de son, d’ambiance.
Difficile à avaler, car la parole est tailladée, la plume incisive
et les idées sont denses. Le genre d’album que tu écoutes du
début à la fin, pour comprendre et t’imprégner, mais que tu
laisses aussi de côté le temps de reprendre ton souffle et d’en
digérer les différentes perspectives.
La Canaille est
aussi et surtout, pour moi, un point de vue sur le monde. Evidemment,
on ne sourit pas beaucoup. On se laisse conter cette poésie urbaine
et sombre tombée sur papier par Marc Nammour. Appréhender ce « Par
temps de rage » n’était donc pas une mince affaire. Finalement on
y plonge assez bien, et tout démarre avec quelques notes de grattes
et ce beat déjà bien lourd. La leçon a démarré après quelques
secondes. Globalement, la topologie de l’album n’est pas si
différente de celle du premier. On oscille entre les histoires que
nous raconte le MC (« Salles des fêtes », « Le Dragon », «
L’eau monte »), où l’on se prend dans la gueule les lyrics
noirs, des sagas qui tournent mal et qui décrivent un quotidien
difficile mais bien réel.
L’intérêt de l’album est
bien là : écouter ce que l’on n’entend pas d’ordinaire, ce
qui se passe sous les visages quand les masques sont tombés, et
quand les acteurs se livrent d’eux-mêmes. « Par temps de rage »
décrit donc le quotidien caché que l’on ne veut pas voir. D’où
la difficile entrée dans les albums. Les autres thèmes s’enchainent
donc, parlant tant d’un « Soulèvement qui aura lieu », que de la
difficile appréhension de « La colère », domptable et qui clôture
l’album : « Mais si je la contiens, si je la domine / Si j’en
fais mon alliée, cachée sous ma poitrine / C’est fou la force qui
se dégage de ses remous / Quand elle est légitime et que l’agneau
défie le loup ».
Tout ça s’explique, dans « Ma
poésie ne se lave pas », puis dans « La mise en Je », et son
texte plus actuel sur la génération 70/80. Et c’est certainement
parce que sa génération « blasée n’a rien connu de glorieux »,
que « Ma ligne de mire » est une ode à la simplicité. « Un jean,
des baskets, ni cravate, ni paillette / Reste simple dans ma tête /
C’est la vie que j’ai choisie ». On continue dans les sentiments
avec la tellement réaliste « Trop facile », qui nous décrit une
hypocrisie ambiante, de la cuisine de ton appart’ jusque dans les
plus hautes sphères de l’Etat.
Voila pourquoi on ne
sort pas indemne d’un album de La Canaille. Impossible d’oublier
Mathieu Lalande (guitares, claviers), Walter Pagliani (basse,
contrebasse, claviers) et Nicolas Rinaldi (scratchs), qui complètent
le groupe et font que l’album parait si dense et puissant. Outre
quelques invités aux instruments, on note aussi la présence du
rappeur américain Napoleon Maddox sur deux titres.
« Par
Temps de Rage » réalise donc le travail d’un éditorialiste bien
inspiré, conteur d’une génération trop souvent déçue et de
l’envers de son décor. On ne passe pas cet album en soirée pour
combler l’assistance. On l’écoute l’oreille alerte et les sens
en éveil avec une bonne dose d’humilité ; avant de le ressortir
quelques temps plus tard. Juste pour voir si les choses ont changé.
Neska