Genre
: Hip-hop, Ambiant, Rock, Psyché, Divers
Ceux qui me
suivent sur Twitter (@Adiktblog) ou sur Facebook savent que cet opus,
je l’attendais depuis longtemps. Aussi, impossible de n’en dire
que quelques lignes qui tomberont vite dans l’oubli. Il faut
développer, tourner les pages de ce disque, argumenter, disséquer
les samples des mélodies jouées, les influences du Brésil de
celles plus occidentales. Car ce disque est un fourre-tout, au sens
noble du terme. C’est d’ailleurs l’une des galettes les plus
complètes, musicalement parlant, qu’il m’ait été donné
d’écouter depuis plusieurs années. Mais pour tout comprendre, il
faut partir de zéro.
Case
départ ; starting blocks.
Ceux
qui sont familiers du groupe et de ses protagonistes peuvent de suite
sauter ce chapitre, et passer à la suite. Car il convient
d’introduire ces deux personnages. On commence donc avec le
chanteur, Jonah Byrd. Chant d’oiseau, tout en profondeur, mais
aussi tout en puissance parfois. Américain. Charismatique. Calme.
Retranché derrière ses petites lunettes, caché derrière cette
grosse barbe qui lui donne l’air de sortir d’une autre époque.
Ne pas se fier aux apparences. Poumons gonflés à bloc, le monsieur
avait fait chavirer mon petit cœur lorsqu’il était encore le
chanteur attitré de feu le groupe Jigsaw Soul. Je pense fatalement à
l’hypnotique et brillante musique « Cockroach Hotel », sur
laquelle vous pouvez vous jeter sans la moindre hésitation.
Finalement, je n’en sais pas vraiment plus sur le monsieur. Sauf de
son coup de cœur avec MatMat, le beatmaker et compositeur en chef de
cet album, grâce auquel il vient de passer un palier. 2 mètres de
haut.
« Quand
j’ai rencontré Jonah, notre première discussion c’était sur
les Pink Floyd et Nina Simone »,
m’explique MatMat. Connaissant l’immense amour qu’il porte à
la musique, j’en conclus que le sort n’aurait pas pu en être
autrement. MatMat, au-delà du bon pote, est aussi une sorte de
modèle musical. On évolue parallèlement, en se voyant assez
rarement (il habite entre Nancy, parfois Paris, souvent New York,
quand il n’est pas en vadrouille au Brésil), mais c’est à
chaque fois des moments délectables. On parle fatalement musique; on
découvre, jette une oreille. On approuve. Ou non. Mais je me
réjouis, toujours. Et tous les deux, à l’époque du lycée en
gros, étions déjà très portés sur le hip-hop. MatMat en a créé,
des instrus. Précédemment étiqueté Circa Diem, déjà aux
machines, il portait aussi la seconde casquette de rappeur, entouré
de plusieurs de ses acolytes (dont Incredible Polo, que l’on
retrouvera bientôt sur LZO). Mais comme pour beaucoup de
rappeur/producteur, ce sont les machines qui l’ont emporté.
Finalement, MatMat a beaucoup bossé, a fait ses armes à de
multiples reprises, jusqu’à collaborer avec le rappeur Dreyf, pour
pondre une série « Maux de Gorge », des rafales sonores d’à
peine 2 minutes, sur lesquelles on sentait déjà poindre le goût de
l’éclectisme entretenu par le beatmaker. Ces goûts divers et
variés sont présents depuis longtemps chez MatMat.
Éclectisme,
Brésil & Rouages mécaniques
C’est
son point fort : l’ouverture musicale, à de nombreux styles,
couplée à la technique désormais parfaitement maîtrisée du
sampling. Rien d’étonnant donc quand, il y a quelques mois, le
monsieur débarque à la maison, de retour de son voyage au Brésil,
une quarantaine de vinyles sous le bras. Sourire aux lèvres.
Avec
cet opus, MatMat a donc franchi un palier. Au-delà du simple
hip-hop, plus loin que la boucle, plus proche de la mélodie, en
première ligne face aux rythmiques différentes, aux breakbeats
empruntés à la musique funk. On se noie facilement dans cet album,
tant il est varié. On bouge, on saute. On danse parfois, ou un remue
la tête à l’ancienne. Mais on se cale au fond du canap’ aussi,
on tressaille sur certaines rythmiques, on dessine un rictus sur
d’autres. Pas de frontières, c’est le mot d’ordre. Sur les 2
faces du vinyle (pas de version CD pour le moment), j’apprends
rapidement à faire le distinguo : MatMat me parle d’une première
face plus « accessible », d’une seconde qui se prête assez au
jeu de l’expérimentation. Le tout nous donne un melting-pot très
riche, assez complexe parfois, épars mais complètement
cohérent.
Aussi, il n’est pas étonnant de croiser une
reprise de « Long Train Runnin’ », des Doobie Brothers, concoctée
avec brio. MatMat en a fait quelque chose de plus contemporain, en
revisitant cette piste bien connue de tous, sans tomber dans la
ressemblance trop immédiate, et en s’offrant même le luxe d’y
coller des « Oh yeah » bien placés. Façonnage hip-hop. Jonah la
magnifie grâce à sa voix de miel, direction le septième ciel.
D’une ouverture, « Daylight », aux images cinématographiques, où
le chanteur s’amuse à déployer l’étendue de son talent sur
toute la piste, le disque nous conduit rapidement vers des morceaux
qui sentent le rock, le jazz, accompagné d’instruments en tous
genres. Cette liberté musicale, qui caractérise donc l’album, se
sent et se ressent, sur n’importe quelle piste.
« The
Promise of Glory » est une balade sentimentale, qui se termine sur
une montée de guitare accompagnée par Jonah qu’on croit crier son
désespoir, alors que l’éponyme « The Glass Half » joue avec les
rythmes brésiliens. « Forbidden Fruit » change mille fois de
directions, accélère et ralentit, s’amuse avec les tempos, quand
« Claptrap » flirte avec l’expérimental. Si je ne me lasse pas
de « Hereafter » et « Gone Far East », deux des morceaux les plus
réussi pour moi (chant et musique réunis), « A Welcome Departure »
t’amène dans un registre plus rock, plus abrupt et surtout, plus
introspectif. On est dans la recherche, parfois dans le minimalisme.
Comme un clap de fin, un générique qui s’écoule lentement, «
The Suite Hereafter » vient clore ce merveilleux album, simplement
beau. C’est une synthèse, sans Jonah toutefois, qui se mue
lentement, en te promettant de revenir très vite. Comme un vieux
pote que tu ne reverras que dans longtemps, t’es un peu triste,
mais heureux quand même. On vient de vivre une expérience. Alors on
appuie sur Play. Encore et
encore.
Neska
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Interview
de MatMat, beatmaker et compositeur de The Glass Half
Adikt
: Salut Mat ! Ce qui est intéressant dans cet album, et dans ton
parcours, c’est la manière dont tu as réussi à passer de
productions 100% hip-hop auxquelles tu t’es beaucoup adonné,
jusqu’à cet album beaucoup plus instrumental, fondamentalement
moins HH, mais aux couleurs musicales très différentes. Comment tu
as personnellement fait cette transition ?
MatMat
: D’une part parce que pour faire du son, ma technique c’est de
beaucoup utiliser les samples. J’ai toujours été attiré par de
nombreux styles différents, encore plus aujourd’hui qu’hier.
Mais même quand je faisais des instrus HH, je commençais déjà à
intégrer d’autres sonorités, essayer de développer les choses
plus loin qu’une boucle et un beat.
J’avais aussi
envie de faire quelque chose avec un artiste qui soit autre que «
rap », et la rencontre avec Jonah a été dans ce sens. Le problème
avec le rap c’est que tu es finalement assez limité, tu ne peux
pas aller trop loin, sauf si tu travailles avec des artistes plus «
spéciaux ». Avec un chanteur, tu peux t’éclater dans d’autres
domaines, avec d’autres techniques, tempo, structures, etc. Aller
de trucs très dansants à des univers plus posés, calmes.
Adikt
: Parle-moi du voyage au Brésil, de ce que tu y a vu, connu,
rencontré…
MatMat
: J’étais novice ! Mais j’ai senti un truc inévitable : la
musique, t’en prend plein la gueule. Soit t’aime bien et c’est
divertissant, soit t’accroche et tu rentres dans le truc. Je ne m’y
attendais pas du tout et je me suis rendu compte qu’il existe
beaucoup de styles différents en musique brésilienne, au-delà de
ce qu’on connait de la samba et de la bossa nova... En fait,
il y a beaucoup de sous-genres très intéressants, comme le «
tropicalia », et toute une école des années 70, similaires à ce
qu’ont pu faire la funk ou le rock progressif dans ces années-là.
Il y a beaucoup de recherche. Et j’ai trouvé des centaines
d’albums passionnants. En plus, tout a été très peu samplé à
ma connaissance, même si ça commence à se démocratiser. J’ai
ramené une quarantaine d’albums de là-bas. Mais il n’y a pas
que ça dans l’album, loin de là ! Ça s’est ajouté à ce que
j’avais comme influence précédemment, le jazz, le rock, la funk,
les breakbeats de funk, etc. Sans oublier tout l’univers musical de
Jonah, qui a suggéré des samples, sans oublier les instruments
qu’il joue, percussion, guitare, etc.
Adikt
: Comment s’est construit l’album ? Quelle a été votre manière
de travailler ?
MatMat
: J’avais déjà pas mal de prods existantes, sur lesquelles il a
bien accroché. Ca a donné la moitié des morceaux. Suite à ça, il
avait des morceaux qu’il avait enregistrés en tant que maquette
voix/guitare, et sur lesquels j’ai refait la production par-dessus.
Une dernière session a été refaite plus tard, où on est parti de
zéro, ou presque.
Pour la reprise de « Long Train
Runnin’ » par exemple, j’ai récupéré les fichiers, j’ai
trouvé une boucle intéressante, et j’en ai fait un remix pour
m’amuser. Ce n’était pas vraiment prévu pour autre chose ! Je
l’ai fait écouter à Jonah qui a aimé, et du coup on a
réenregistré les voix par-dessus le remix.
Adikt
: L’artwork est aussi à l’image de l’album, assez fouillé,
complexe et joli.
MatMat
: Oui, on l’a fait à deux avec Jonah. Il a un style très
particulier, très opposé au mien, très minutieux, détaillé,
psyché, abstrait. Ca collait bien à un certain aspect du disque.
J’ai utilisé une partie de ses dessins, puis je les ai retouchés.
Un peu comme on fait de la musique finalement... Je suis arrivé à
ces motifs-là. Je voulais un objet unique pour le vinyle. On a aussi
essayé de faire un maximum de choses à la main, comme la tracklist,
les paroles, etc. C’est vraiment un objet unique.
Adikt
: Après la première écoute, une de mes premières réactions a été
de me dire que je ne connais rien qui ressemble à ça… C’était
volontaire ?
MatMat
: On a aussi beaucoup de mal à le décrire, alors en général, on
utilise le mot « collage », comme une superposition de plein
d’éléments. Quand j’ai rencontré Jonah, notre première
discussion c’était sur les Pink Floyd et Nina Simone. Il vient du
rock, moi du rap. Mais on est passionnés de soul, jazz, etc. La
musique brésilienne a été le liant dans tout ça. Donc c’est
vraiment un collage, mais on s’est amusés à pencher vers un genre
ou vers un autre sur certains morceaux. L’album est du coup très
éclectique, mais on s’inscrit dans une époque, quand beaucoup
d’artistes ne se restreignent plus à une étiquette, à un
genre.
Adikt
: Vous pensez déjà à la suite ? A quelque chose de différent
?
MatMat
: Pour le moment, on n’a pas encore commencé à bosser dessus.
Mais on a encore beaucoup de choses à faire ensemble. Ce projet
s’est déroulé très vite, en 2 ans seulement ! L’enregistrement
a été fait en quelques semaines. Du coup, si on refait quelque
chose, on ne sait pas à quoi ça va ressembler… La règle, c’est
qu’il n’y a pas de règle ! Si j’aime cet album, c’est parce
qu’on ne s’est pas fixés de limites. Même si on commence à
bosser la scène, ce qui est en quelque sorte est un nouveau projet.
Pour le live, on voudrait inviter des gens qui ne sont pas sur
l’album mais avec qui on aimerait bien jouer. Et notamment amener
des instruments comme la basse, la viole de gambe, des claviers,
etc.
Adikt
: Hormis ce projet, ton actualité musicale c’est quoi ?
MatMat
: J’ai plusieurs projets en cours, mais qui changent de forme peu à
peu. Notamment un projet avec Dreyf, pas mal d’autres projets rap
qui ne se sont pas faits parce que j’étais aux Etats-Unis. Je
pense à celui avec le rappeur Misto (Circa Diem), ainsi que des
projets sur LZO, notamment une série de maxis, avec différents
rappeurs, dont Arm, Sept, qui revient petit à petit, ou encore
Soklak... On va surtout essayer de mettre les beatmakers au centre
des projets et de voir les rappeurs plus comme des invités, avec des
collaborations différentes, etc. On cherche à avoir une approche
pas forcément centrée sur un artiste, mais plus sur des projets
dans leur globalité. Un peu comme « Les Courants Forts » d’Iris
& Arm, qui réunissait un univers de beatmakers, etc.
Adikt
: Un dernier mot ?
MatMat
: Vivement la suite !
Liens :
- The
Glass Half on Bandcamp
- LZO
Records