Chaque nouvel album de Sizzla est un événement mais celui-ci en est un plus que les autres.
Sizzla lui-même le décrit comme une pierre angulaire dans sa carrière. “Nous nous aventurons dans un nouveau monde (…) Nous avions besoin de sortir un album qui rappelle d’où vient Sizzla Kalonji, et cet album, c’est pour le producteur qui a su m’amener au niveau.” Le producteur en question est Caveman – ingé-son réputé de Kingston dont le dernier projet sur le label Afrojam Music, Culture Sound Vol. 1, a retenu l’attention du plus grand nombre. La connexion Caveman et le singjay date de l’époque où Sizzla n’était encore qu’à l’école.
Il montrait déjà des signes de génie ! A l’image des icônes des 70’s, la musique de Sizzla est emprunte d’un message de justice et de vérité. Depuis son explosion au milieu des 90’s grâce à des classiques comme True God et Black Woman And Child, Sizzla a suivi son propre chemin, refusant les formats. Il trust les charts reggae internationales avec cette volonté de rassembler les styles roots, conscient, dancehall et autres one-drop.
Pour cet album, Sizzla Kalonji est de retour dans le studio de celui qui l’a repéré avant tout le monde. Sizzla enfonce le clou et prouve que Babylon est un échec. Il utilise le riddim Rat Race de Bob Marley, le thème du système qui s’effondre prend alors des apparences de prophétie. Look What’s Happening est une magnifique complainte de ‘sufferers’. Le hit Hungry Children creuse le sillon de l’opposition riches et pauvres. Bon nombre des textes de Sizzla sont tournés vers la jeune génération, première victime innocente, selon l’artiste, de la cruauté du système. Sizzla croit en ce qu’il dit et vit selon les principes qu’il défend. Mal compris par certains, il fait énormément de dons en Jamaïque grâce à l’argent que génère sa musique. Il finance sa propre ‘Youth Foundation’, a fait construire des tabernacles rastas, des studios d’enregistrement... Il s’engage dans les démarches permettant aux enfants les plus défavorisés d’aller à l’école. De nombreux projets de cet ordre sont en cours dont un des derniers visant à réduire le chômage en Jamaïque. Son moteur est évidemment sa foi en Rastafari, n’oublions pas que Sizzla est un prêcheur qualifié ainsi que le trésorier officiel du reconnu Ordre de Nyabinghi.
On comprendra mieux la portée de morceaux comme Chanting Rastaman, Jah Made It Possible, Love Jah More jusqu’au titre éponyme Chant. C’est une force de la Nature ! Un talent naturel doté de ce don d’enflammer ses chansons. Ses lyrics sont une mine d’informations, un partage du savoir pour qu’enfin autre chose que la répression et la corruption prévalent. Plusieurs thématiques sont passées en revue, la marijuana dans Smoke Marijuana featuring Wippa Demus & Halloway, la guerre dans Put Away The Weapons, titre qui s’est déjà imposé auprès du public dancehall. “When music hits, you feel no pain (Quand la musique frappe, ça ne fait pas mal)” chantait Bob Marley, cette maxime s’applique aussi au Zimbabwe de Sizzla – un hymne faisant écho à la célébration de Marley à l’époque dans ce pays, s’adressant au peuple, pas aux politiques.
Sizzla s’est rendu en Afrique l’an dernier encore. Caveman, du voyage avec Sizzla, cite le morceau Rasta Music comme LE titre fort pour les Africains. « Nous avons voyagé du Ghana à l‘Afrique du Sud en passant par le Zimbabwe et le feedback a été incroyable, le public n’en avait jamais assez de cette musique en parti parce que les lyrics parlent directement de leurs luttes ». A la manière d’un Malcolm X, il reste controversé en Occident tandis qu’il est constamment remercier par les dirigeants des états africains. Sur le morceau Zimbabwe, il nous rappelle que le combat contre le colonialisme est loin d’être terminé, expliquant aussi pourquoi les Rastafariens attendent leur rapatriement sur la Terre de leurs ancêtres. How Come en featuring avec Jah Seed a lui aussi été enregistré en Afrique. Cet artiste, Apple Seed est originaire du Zimbabwe. L’aventure africaine de Sizzla ne fait que commencer… C’est là-bas que le concept de cet album a été pensé puis enregistré au Caveman’s HQ Studio, East Kingston, JA.
Sizzla Kalonji a insisté et patienté pour que l’enregistrement puisse se faire au Caveman, assista aux séances de mix et permet aujourd’hui au public de comprendre la singularité des prods qui sortent de ce studio. Caveman, Everton Moore de son vrai nom, a grandi à côté de Kingston, dans le mêle quartier que des artistes comme Ken Boothe, Aston “Familyman” Barrett, Lee “Scratch” Perry, des personnalités qu’il présente comme “the backbone of reggae music.” En 1975 déjà, son père était propriétaire d’un sound system. Cinq ans plus tard, Everton et son frère Anthony en reprirent la tête, le rebaptisant Caveman. « Notre spécialité était le roots and culture (…) Je donne le meilleur pour conserver cette authenticité musicale et suivre la voie ouverte par des pionniers comme les Wailers et Lee Perry. Pour moi, c’est la musique qui a véritablement eu un écho international. Un héritage que Bob Marley et d’autres nous ont laissé. Il est primordial pour nous de conserver cette qualité » C’est un camarade de classe qui accompagne Sizzla à Caveman, à Nannyville Gardens, quartier Nord de Kingston, non loin d’August Town. Le Père Rasta de Sizzla y tenait un garage et un sound-system. De son vrai nom Miguel Collins, Sizzla commença en tant que dee-jay local avant de s’attaquer à la ville et rencontrer des personnalités qui seront ses mentors. “Caveman a été le premier sound où on a pu entendre Sizzla deejay parce que c’est à Caveman que j’ai eu l’opportunité de répéter du matin au soir” explique l’artiste. « je faisais du toast, du deejaying jusqu’à épuisement puis je rentrais me coucher et y retourner après l’école pour continuer à m’entraîner. Caveman avait un tas de riddims sur-mesure pour ma voix. Il m’a fait sortir le meilleur de moi-même. Il s’installa sur Grove Road et se rapprocha de Mr. Harris. Mon appellation Sizzla vient de ces deux hommes ». Homer Harris tenait le studio de répétition Blue Mountain sur Grove Road, près d’Half Way Tree. Les plus grands noms sont passés ici, échangeant avec les plus jeunes talents, dont Sizzla faisait alors partie, générant ainsi ce qu’il appelle “a whole atmosphere of love” Dès le début de sa carrière, Sizzla s’inspire de ce qu’il voit autour de lui, le relatant dans une vérité criante ne laissant aucune place à l’équivoque. Il a vécu la violence socio-politique, il partageait les conditions des sufferers, le besoin et la peur. Dans sa musique, et aussi cet album, on peut entendre l’espoir et le rêve aussi bien que la colère et la frustration. Sizzla reste le plus versatile des singjays et emprunte divers chemins musicaux, tour à tour des combats sociaux, des hymnes rastas, des instrus dancehall et même des slows, à l’image du délicat Something Special.
On rappellera que bon nombre de ses premiers hits ont été produits par XTerminator et Bobby Digital, c’est juste après que Caveman transformera son activité de soundman en producteur. C’est en réalité Bunny Wailer qui fera exploser Sizzla en 1998/99, le faisant apparaître sur la compilation Tek Set Vol.1 (label Solomonic). Caveman produira dans la foulée un projet nommé Axiom, y incluant Sizzla, Beenie Man et d’autres artistes montants de cette période. « Avec le recul, je pense que le fait que je n’avais financièrement pas la possibilité de construire mon studio a finalement permis à d’autres producteurs d’enregistrer Sizzla avant moi » dit-il. Caveman continue de soutenir les jeunes talents des artistes comme G-Nius, Amp, Yambio et le dub poet Ras Haile Malekot. L’artiste Cadia est aussi une découverte de Caveman, elle assure les harmonies sur certains tracks de cet opus comme Hungry Children. Bientôt, certains de ces noms sortiront du lot et deviendront des références comme Sizzla Kalonji l’est aujourd’hui souligne Caveman mais rappelez-vous que c’est sur une production Caveman / Afrojam Music que vous les avez découverts en premier.