Raoul Sinier – The Melting Man +
Interview (Tigerbeat6)
Genre : Electronique, Drill,
Hip-hop, Musique sale, Autre, Divers
Quelques mois
seulement après la sortie de son dernier « Cymbal Rush / Strange
Teeth & Black Nails », Raoul Sinier revient, des projets plein
les poches, des idées plein la tête. Mais cette fois-ci, l’artiste
semble s’être attaqué à quelque chose d’autre. Pas de
révolution musicale à proprement parlé, mais bel et bien une
évolution évidente. Ici, on écoute des productions plus lourdes,
plus aplaties peut-être, toujours aussi efficaces, à un détail
près : après la réalisation de ses pochettes d’album, de ses
clips et bien entendu de ses productions, Raoul Sinier a désormais
saisi le pouvoir des mots, celui de la voix, et nous bastonne
tendrement les oreilles à la manière d’un Thom Yorke en
ébullition.
Le premier morceau, « We Fly », porte bien
son nom puisqu’on s’envole très facilement dans cet EP aux
couleurs mélodiques, rapidement suivi par « We Fly Part. 2 »,
légitime petite sœur instrumentale qui nous permet d’allonger le
plaisir. La moitié de cet EP étant déjà atteinte, c’est très
curieusement que je découvre « All Night ». Raoul reprend sa
formule efficace, en débutant le morceau par un breakbeat un peu
crasseux, rapidement rejoint par un synthé guttural, et rebelote, la
voix de l’artiste, plus grave que sur la première piste.
Travaillée différemment, m’explique-t-il. On ne sait pas à quoi
s’attendre et subitement, à la moitié du morceau, tout change.
Alors on s’échappe vers une nouvelle dimension carrément plus
électronique, avec de nouveaux courts samples de voix, et ce
breakbeat qui s’envole encore au fur et à mesure avant de
finalement fondre comme une épilepsie musicale. Le tout est
architectural, assez gargantuesque, avalant tout sur son passage.
«
The Melting Man » clôture cette belle ascension, sur une production
plus calme, mais une voix déjà plus assurée qu’au début, plus
audible aussi. Mais finalement, c’est bien le chant qui est
obsédant sur ce nouvel essai très réussi. La comparaison avec Thom
Yorke était bien entendu fallacieuse (quoi que !), un peu facile,
mais elle reste évidente à plusieurs points de vue. Comme cette
manière de presque fusionner instrumentale et voix pour ne former
qu’un tout, pas un ensemble rapiécé. Celle aussi de laisser
trainer cette voix bien travaillée sur de longues secondes,
accompagnant les synthés fous et les rythmes mutants.
C’est
donc un bien bel exercice qu’a réalisé Raoul Sinier avec ce
nouvel EP. Rarement habitué à me décevoir, celui qui est devenu un
grand monsieur de la scène électronique underground (sans rien de
péjoratif) française risque d’encore nous surprendre sur l’album
à venir fin juin, dont il me parle, entre autres, dans l’interview
ci-dessous.
Adikt : Depuis que tu chantes sur certaines
pistes désormais, est ce que ça change quelque chose pour toi au
niveau de la composition musicale ?
Raoul Sinier : Je
commence toujours par la prod. Ce qui a changé, c’est que je me
sens moins le besoin de faire des compos super compliquées. Je peux
le faire un peu plus cool. La voix habille énormément. La musique
électronique est d’ordinaire super linéaire, et ça me fait
chier. Mais quand il y a de la voix, ca change un peu la donne. Ce
qui ne veut pas dire que je vais faire uniquement
refrain/couplet/refrain/couplet, mais ça a changé pas mal les
choses. Mais en ce qui concerne la manière de travailler, c’est
toujours un peu pareil: je commence à faire la musique et ensuite
seulement j’agrémente avec plein de détails. Mais en revanche,
c’est pratiquement toujours la voix qui vient en dernier, quand
l’ensemble est plus ou moins installé.
Adikt : Tu
parles de musiques moins « compliquées ». Ca veut dire que c’est
moins chargé ? Avec moins de détails ?
Raoul : Non.
C’est surtout au niveau de la composition. Sur mon album précédent
les morceaux changent toutes les cinq secondes. Il y a beaucoup de
variations au niveau de la composition, beaucoup de cassures, etc.
tout en gardant une structure cohérente. Là, il y en a un peu
moins. Par contre, la musique est toujours aussi « complexe ». Avec
le temps, j’en avais aussi un peu marre de mettre des batteries
complètement surchargées, même si j’aime encore énormément ça.
En fait, j’évite de faire toujours le même truc. Mes morceaux
c’est souvent une espèce de montée, et à la fin je me retrouve
avec 6 000 pistes !
Adikt : Même avec la complexité
de la plupart des morceaux, tu restes l’un des artistes les plus
prolifiques en France. Comment appréhendes-tu chaque nouvelle sortie
?
Raoul : D’abord, je tiens à préciser que si je
suis très productif, finalement pas tant que ça. Cette année
j’aurai probablement sorti 3 disques (2 EP et un album). Mais mon
dernier EP date de 2009. Au final, ca fait une vingtaine de morceaux
en 2 ans : c’est pas tant que ça. En ce qui concerne chaque
nouvelle sortie, je ne réfléchis pas vraiment là-dessus. Je fais
des morceaux et j’y vais. Au bout d’un moment, un truc se fait de
lui-même. J’ai commencé par ce qu’on appelle du
abstrakt-hip-hop, à défaut de meilleur terme. Après, je suis allé
plus loin dans le coté électronique sur le deuxième album. Pour le
troisième, c’était de la musique ultra compliquée et frénétique.
Mais ce virage, je m’en suis aperçu en le faisant. Pour aller vers
autre chose, je suis revenu vers des ambiances plus calmes. J’ai
aussi commencé à chanter, et de plus en plus. Mais je ne me force
jamais à aller dans une direction donnée. C’est surement ce qui
rend le tout assez cohérent, puisque je me laisse aller à faire ce
que je veux.
Adikt : Justement, as-tu l’impression
d’avoir passé une nouvelle étape avec cet EP et l’album qui
arrive (en juin, ndlr) ?
Raoul : Oui j’ai
l’impression, mais pour moi c’est le cas à chaque nouveau
disque. Ce n’est pas forcément un virage, car il y a toujours un
fil rouge. Par exemple, le fait qu’il y aura désormais beaucoup de
chansons, c’est assez différent par rapport à avant. Mais ça
reste la même musique. Certains voient dans cette nouveauté un
changement du tout au tout. Alors que pour moi, ce n’est pas
vraiment le cas.
Adikt : Avec l’ajout de voix, tu as
forcément du rebosser la technique !
Raoul : Oui
évidemment. J’ai appris sur le tas, en demandant des conseils,
mais surtout en le faisant. Par exemple, il y a un morceau sur la
compilation « Tsunami Addiction » où ma nana chante dessus : on a
enregistré sa voix avec le micro du PowerBook. Grosso modo, le pire
truc de la terre. J’avais énormément de parasites, mais j’ai
réussi à en faire quelque chose de bien. Bon, pour mon album j’ai
quand même investi dans un micro et une carte d’acquisition. Mais
cela dit ca reste un peu du bricolage. Et je fais en sorte que ca
marche, en essayant de tirer parti des défauts. Dans l’album qui
va sortir, j’avais mis beaucoup d’effets sur la voix, des
dédoublages comme pour faire des chœurs par exemple.
Adikt
: L’album qui sort en juin a été terminé avant ce nouvel EP !
Est-ce qu’on doit s’attendre à un petit retour en arrière
?
Raoul : Non, pas vraiment, même si je m’étais
posé la question. L’album est beaucoup plus long, plus complet. Il
sera plus varié aussi, avec des choses plus calmes, plus énervées,
plus lentes, etc. Il y aura beaucoup plus de diversité, à tous les
niveaux, le tout sur 10 pistes pour environ 50 minutes. J’ai
d’ailleurs refait des morceaux un peu plus longs.
Adikt
: Quels sont tes gros coups de cœur du moment ?
Raoul
: En ce moment, ce n’est pas très original mais c’est le dernier
album de Metronomy. J’ai trouvé ça super bien. Je suis allé
écouter les albums d’avant, mais ils ne m’ont pas trop plu. Sur
ce dernier projet j’ai trouvé le tout vraiment très
subtil.
Adikt : Un dernier mot ?
Raoul :
Pas de dernier mot. T’es toujours tenté de faire une espèce de
blague pourrie… et ça ne marche jamais !
Liens
:
- Site
officiel
- Label
Neska