INTERVIEW - AHMAD

 

Ahmad – Justin Herman Plaza + Interview (EMBarcadero)

Il y a trois semaines encore, je ne connaissais pas Ahmad. On m’en a parlé, je suis allé écouter, et pour tout dire, j’ai rapidement été séduit. J’ai un « background » très hip-hop, rap français, mais il faut bien avouer que depuis quelques années, mes horizons se sont fortement élargis à d’autres styles. Sans pour autant délaisser une scène rap français qui sait montrer, de temps à autre, de belles choses. Il faut également expliquer que nos artistes français ont évolué, dans de multiples directions ; un style beaucoup plus soul-jazzy pour certains, plus abstrakt pour d’autres. Ahmad n’a choisi ni l’un ni l’autre. Disons qu’il reste dans un courant « hip-hop-rap classique » (sans connotation péjorative), mais dans une musique qui tente aussi de s’affranchir de certains clichés qui lui collent à la peau. Après deux EP, le MC de Montpellier nous livre une troisième galette, qui correspond aussi à une époque différente, à un style de vie nouveau oserais-je dire. Et si je vous en parle aujourd’hui, c’est que d’une c’est un projet indépendant, et que par-dessus tout, il est très réussi. Le genre d’album qui redonne du goût au rap français, de par ses références culturelles et son « empreinte » originale. Je vous laisse découvrir l’interview avec Ahmad, et entrer dans l’univers de son « Justin Herman Plaza », intégralement en écoute sur MySpace. Enjoy !

Adikt : Salut Ahmad. Tout d’abord, j’aimerai que tu me donnes la date de sortie exacte de Justin Herman Plaza. Et où on pourra l’acheter également ?

Ahmad : Salut. Le Justin Herman Plaza devrait sortir début avril si tout vas bien. Il y a 200 exemplaires dont un peu plus de la moitié a déjà été « achetée » par les précommandes qui m’ont permis de lancer le projet au pressage. C’est vraiment de l’indépendance anecdotique. Il sera dispo en VPC essentiellement sur les sites comme Just-like ou le mien. Apres selon les moyens, peut-être faire une sortie Cd et digitale mais pour ça il faudrait que je trouve à m’organiser un peu mieux !

Adikt : Pour commencer, une question simple. Ton blaze, c’est Ahmad ou Ahmadeus, comme tu le dis dans l’intro ?

Ahmad : C’est Ahmad, qui est en fait mon nom de famille. Ahmadeus (Mozart-Fucka) c’est plus un alias.

Adikt : Plusieurs fois dans les textes, tu dis ne pas faire de rap (« je laisse le rap aux rappeurs », « ma zik se rapproche de ce qu’ils appellent le rap », …). C’est quoi ta musique ? Comment tu la définie ?

Ahmad : Ma « musique » c’est du rap. Enfin je pense (rire), mais du moins je peux concevoir que pour certains ce style ne correspond pas vraiment à l’esthétisme actuel et que ça peut paraitre « original » au sens péjoratif du terme. Actuellement si tu ne fais pas parti d’une des catégories bien définies, si tu n’es ni moralisant ni démoralisant, alors aux oreilles de certains auditeurs tu peux passer pour un « farfelu ». Mes phases que tu cites, c’est un peu une manière arrogante de définir ma position vis-à-vis de ca. C’est fait à mon échelle bien-sur, mais en gros c’est mon univers, j’impose rien, j’essai juste de convaincre. Apres, tout est relatif, moi je n’ai pas de « public » j’ai quelques personnes qui suivent un peu le truc, je suis conscient que mon délire n’influe en rien sur la tendance actuelle, mais malgré ca je peux affirmer que mes morceaux sont des morceaux de rap (rire). « Je pleurs / Avec une frappe d’orateur / Encore plus frais / Et je laisse le rap aux rappeurs »

Adikt : Et paradoxalement, on retrouve pourtant beaucoup de backs dans les musiques, pas mal de scratchs, des instrus carrément hip-hop…? Envie d’éviter les clichés du rap ?

Ahmad : Eviter les clichés, si cela peut être le cas, ce n’est sincèrement pas volontaire, pour la bonne raison que je n’ai pas fait ce projet en opposition aux « clichés du rap ». Si je ne suis peut-être pas dans les « clichés du rap » c’est peut-être aussi parce que je ne les vis pas. J’aime bien qu’on prenne un album pour ce qu’il est. Faut jouer le jeu un minimum. Soutenir un projet juste parce qu’il évite « les clichés du rap », c’est occulter tout l’aspect esthétique du truc, éviter « les clichés du rap », ce n’est pas une preuve de qualité. Tu sais les gens qui te sortent « ha enfin là on n’est pas dans les bling-bling et autres violences » pour parler d’un projet, bah non, moi ca me donne pas envie plus que ca de me pencher dessus. Je veux dire par là que ce n’est pas ce critère précis qui va me faire me tendre l’oreille sur tel ou tel projet. Tu sais, pour moi «le rap pour ceux qui n’aiment pas le rap » ce n’est pas ce que je recherche. Si c’est faire son truc juste pour être en opposition, c’est bidon, dans ce cas là, l’antithèse est aussi médiocre que la thèse. J’aime les choses nuancées, c’est comme ça, ça me parle beaucoup plus. En France, ça manque peut être de graduation. En fait au niveau exposition, pour caricaturer, tu as soit les dealers buveurs de 8,6 d’un coté, soit les polis siroteurs de thé de l’autre. C’est un grand écart facial, les adducteurs souffrent (rire). « Je compte mes tunes mais la maille divise / Mon style, c’est un baggy, et dedans, y’a Miles Davis »

Adikt : J’ai trouvé pas mal de références musicales (Coltrane, Miles Davis, …). D’où vient ta culture, de quels artistes (musique, livre…), au sens large, tu t’inspires ?

Ahmad : Bah ca bouge pas mal, j’ai des périodes (rire). Pour la période « Justin Herman Plaza », c’était une sorte de retours à mes fondamentaux avec les ambiances épiques, grandiloquentes mais un peu oniriques et poétiques aussi. En bouquin j’ai pas mal lu de Donald Goines, là je termine juste « Dans l’abime du temps » de H.P. Lovecraft, le dernier Karim Madani m’a bien plu aussi. Le film qui m’a vraiment parlé ces derniers temps c’est « Two Lovers », de James Gray. Lui, je kif carrément son univers, il a une recherche de la justesse qui me parle vraiment. C’est du « quotidien » épique. Apres il y a quelques séries, comme « Breaking bad », « The Wire », qui m’ont fait squatté l’écran, ainsi que quelques classiques de James Cagney. Au niveau musical ces derniers temps j’ai beaucoup écouté l’album « Down to Earth » de Wonder, « Transformer » et « Berlin » de Lou Reed me giflent a chaque fois, le groupe Hint vs Ez3kiel. Pas mal de reggae aussi, comme The Congoes surtout leur « Heat of the Congoes », et j’ai bien aimé le dernier Biolay. Niveau rap, le « black album » de Jay-z tourne encore beaucoup, le dernier Cam’ron, Elzhi, The Clipse, le Q-tip. J’ai énormément écouté le « Layover » de Evidence, et il y a un p’tit nouveau J-cole, j’ai vraiment kiffé sa Tape « The Warm Up ».

Adikt : Quel regard tu portes sur tes deux précédents albums ?

Ahmad : Je les réécoute rarement mais je les aime bien. Ils me sont nostalgiques replacés dans leur contexte. Ils portent bien l’air du temps auxquels chacun a été conçus. En fait j’ai eu pour tous les projets le même objectif final, mais ils se font à chaque fois de manières différentes. Au fil du temps je vois de plus en plus mes 2 précédents albums comme ayant la même finalité mais avec les styles et les manières propres à ce que je ressentais pour la conception de chacun. Il en est de même pour le « Justin Herman Plaza », c’était toujours le même objectif mais d’une manière un peu différente. « Je suis Coltrane avec une paire de Nike / Ma zik se rapproche de ce qu’ils appellent le rap »

Adikt : Personnellement, les musiques que j’ai le moins appréciées sur l’album sont celles où tu n’es pas seul. Je trouve qu’elles tranchent avec le reste des titres, principalement parce que les deux concernés semblent vraiment un cran en dessous de toi au niveau flow, purement rap (c’est un avis strictement personnel). Qui sont Marcus Monk et Grio ? Que penses-tu de ça ?

Ahmad : Moi je kif vraiment ce que fait Marcus Monk. Lui et Grio sont super jeunes mais je kif les écouter freestyler. Ils sont frais. Ces deux MC’s à temps partiels de Montpellier (rire). On a un peu la même vision du truc, les mêmes références… Marcus a souvent été présent pendant l’élaboration et ses remarques ont beaucoup joué sur le résultat final du EP.

Adikt : Le Justin Herman Plaza, c’est apparemment un hôtel à San Francisco (simple recherche Google…). Pourquoi ce titre ?

Ahmad : La « Justin Herman Plaza » est aussi connu sous le nom de l’EMBarcadero, c’est une place à San Francisco qui a été le point névralgique d’une nouvelle façon de concevoir le style au début des 90’s. C’est les nouveaux skateurs issus de la Team de Steve Rocco qui ont lancé un peu ce truc dans le début des années 90 pour se démarquer du courant « propre et business ». Ils arrivaient avec un style technique mais vachement nonchalant et arrogant. Moi j’ai découvert cette place gamin comme beaucoup à travers les VHS de skate. D’ailleurs, les ziks qui accompagnés les sessions étaient folles, j’ai découvert plein de truc grâce à ça, de Primus aux Casual , Tribe Called Quest , Curtis Mayfield, etc… J’ai donc choisi ce titre pour illustrer cette envie de renouer avec cette idée de performance pour le kif, à mon niveau bien sur ; par exemple je n’écris pas vraiment en thèmes, mais plus par couleurs et « ambiances », la finalité n’est pas la seule priorité, la manière importe aussi beaucoup. Apres, bien sur, comme en skate, le côté ludique est primordial. « Je voulais dompter le temps / Je me suis trompé de plan / J’ai eu un trou de mémoire / Et t’es tombé dedans »

Adikt : Qui a réalisé la pochette ? Pourquoi cette photo, originale qui plus est (j’aime beaucoup !) ?

Ahmad : C’est moi qui a réalisé la pochette. La photographie est une vraie passion. Je voulais une pochette qui reflète vraiment ce que je voulais ramener comme « univers » avec cet EP. Donc on peut voir sur la photo le personnage en hauteur, sur un tas de « rubbish », un peu comme si le mec s’était servi de la « merde » pour s’élever. Il ne l’a subit pas, il s’en sert pour prendre de la hauteur. J’aime bien ce coté « grandiloquent ». Ca se retrouve dans certaines instrus aussi. « Mon auréole est sous l’oreiller / Réveil à l’aurore sur mes lauriers / Et j’ai souris pour m’en défendre / Je veux juste qu’la terre s’arrête pour en descendre »

Adikt : C’est quoi tes projets futurs, en cours ?

Ahmad : Essayer de faire exister ce projet par la mise en image, j’aimerai vraiment avoir un ou deux clips. Faire de la scène. Sinon avec Non-Grata, on va s’essayer sur un projet qu’il met sur pieds, je dois taffer sur le projet de Marcus Monk aussi, mais à Montpellier les projets sont souvent au conditionnel (rire) !

Adikt : Un dernier mot ?

Ahmad : Merci et big up à ton taf !

Lien :

https://sameerahmad.bandcamp.com/

Neska 

Sameer Ahmad - Perdants magnifiques :

https://ouestime.blogspot.com/2020/07/sameer-ahmad-perdants-magnifiques.html